A 6, 15 ou 28, auConseil de l’Union européenne(UE), surnommé « Conseil des ministres » ou « Conseil » comme dans un groupe hétérogène, prendre une décision collective relève de beaucoup d’efforts et de modalités adaptées. Dans son ouvrage très abordable, les politiques de l’Union européenne, Philippe Delivet nous ouvre les coulisses de leur élaboration et les secrets des décisions collectives en Europe.
Admirons un instant la vitrine des politiques européennes. Ces dernières sont issues des développements de compétences attribuées à l’UE par les traités successifs. Depuis le Traité de Paris de 1951 qui instaura la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), les politiques servaient le projet d’intégration économique et monétaire sectorielle. A partir du Traité de Maastricht signé en 1992, elles se sont étendues à de nouvelles dimensions (la sécurité, l’environnement, l’éducation, l’élargissement…).
Toutes les politiques sont déterminées par trois facteurs: les processus de décision, les cadres stratégiques et les financements. Les stratégies sont échafaudées par leConseil européenet laCommission européenne (CE). Actuellement, les politiques œuvrent pour lastratégie Europe 2020. Elle sera suivie par lecadre d’action 2030 pour l’énergie et le climat. Les processus de décision relèvent de principes(d’attribution des compétences ,de subsidiarité,de proportionnalité), d’actes juridiques (règlement, directive…), de méthodes de prise de décision (communautaire, intergouvernementale…) et de l’implication d’acteurs (groupes d’intérêt, Comité des régions, Comité économique et social européen). Les politiques sont financées dans un cadre pluriannuel de 5 à 7 ans dans lequel s’inscrit un budget annuel. Actuellement, le cadre 2021-2027 proposé par la CE est en cours de négociation. Il sera voté par le Parlement et le Conseil de l’UE et exécuté par la CE.
Levons le rideau sur les différentes spécificités de la prise de décision en Europe…Qui se déploient au Conseil de l’UE autour de deux principaux modes : le vote à l’unanimité et le vote majoritaire.
Le vote à l’unanimité a cours pour certaines décisions (de politique étrangère et de défense, d’harmonisation fiscale, relative au droit de la famille, au cadre financier pluriannuel à l’adhésion de nouveaux Etats et à la révision des traités). Il garantit un accord de chaque décideur sur des sujets estimés majeurs ou sensibles. Et semble exiger dès lors une négociation dynamique et parfois de longue haleine. En option du vote à l’unanimité : si un membre du collectif ne soutient pas une position, il peut s’abstenir sans bloquer le processus de décision en exerçant son droit de veto: grâce au mécanisme d’abstention constructive issu du Traité d’Amsterdam de 1997. Enfin le compromis de Luxembourg de 1966 assure un vote à l’unanimité pour les questions reconnues d’intérêt vital pour le décideur.
Le vote majoritaire semble être un mode de décision moins contraignant et plus rapide. La décision requiert une majorité parmi les décideurs. Une minorité peut par conséquent devoir appliquer une décision non souhaitée. Une variante du vote majoritaire est le vote à majorité qualifiée : la décision est prise en cas de majorité des décideurs et de majorité de population associée au pays décideur. La population peut être prise en compte via un pourcentage (1 décideur représente x% de la population européenne) et/ou via une pondération des voix (1 décideur représente x voix prédéfinies en fonction de sa population). Le vote à majorité qualifiée, dite clause de vérification démographique, a été établie par le Traité de Nice de 2001 pour inciter à la négociation et au compromis. Pendant du vote majoritaire, la minorité de blocage permet à une minorité de décideurs et/ou à une minorité de la population associée de mettre un frein à une décision. La décision n’est pas subie par un sous-groupe de décideurs sans toutefois engager un nouveau processus de négociation. En option du vote majoritaire, le compromis de Ioannina, initialement proposé en 1994, permet à un nombre de décideurs représentant presque une minorité de blocage d’enclencher la recherche d’une solution rapide.
Pour Delivet, la construction européenne bénéficie des expédients d’une méthode de différenciation[1] dans la prise de décision. Cette méthode comprend notamment deux types d’instruments : les dérogations et les mécanismes de coopérations renforcées.
Les dérogations ou « options de retrait » sont l’aboutissement de la reconnaissance des différences de rythmes et permettent à des décideurs et à leurs États respectifs de ne pas participer à certaines politiques. Plusieurs pays y ont eu recours lors de la négociation des traités. Ces exemptions peuvent toutefois être de nature temporaire, les décideurs pouvant les lever.
En cas de blocage, les décideurs et leurs États favorables à la décision peuvent bénéficier du mécanisme de coopération renforcée institué avec le Traité d’Amsterdam et entamer une coopération qui restera ouvertes aux États initialement opposés. En matière de défense, le Traité de Lisbonne prévoit également la possibilité d’une coopération structurée.
Avec ces différentes cartes exposées par Delivet, l’Europe joue la recherche d’un accord et du développement rapide de politiques au prix de concessions respectant les positions minoritaires. La décision unanime est réservée à quelques sujets. Arrivez à négocier une décision à plusieurs vitesses et l’équipe avance malgré tout d’une case ! Ces modes de décisions sont-ils applicables et pertinents pour tout collectif ? Ils peuvent y trouver un sens dès lors qu’ils sont unanimement décidés.
Pour ceux qui souhaitent en apprendre davantage sur chaque politique européenne, Delivet propose une description détaillée de leur évolution et de leur substance, à ne pas manquer.